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Jacques Chastaing

La vague de grèves qui dure depuis plus de deux mois en Egypte, dont nous avions relaté fin décembre la portée politique nationale face à la dictature de Sissi [1], continue et s’est encore élargie en ce début d’année 2016.

Ainsi, aux grèves que nous avions déjà citées dans le précédent article [2], s’ajoutent maintenant depuis une semaine environ des grèves toujours pour les salaires ou les bonus des travailleurs des docks près d’Assouan, des travailleurs du charbon au Caire, d’employés du gaz et des salariés des bateaux de croisière sur le Nil.

Par ailleurs, la grève commencée il y a plus de 25 jours chez Petrotrade, compagnie pétrolière publique, continue et touche actuellement 16’000 de ses salariés (sur 18’000) et concerne 52 de ses 56 sites. En même temps, ce sont les salariés de la Suez Petroleum Production Company qui sont entrés en grève pour leurs bonus.

Les travailleurs des docks de la Canal Company for Nile Services and Maintenance Works d’Airmant, près d’Assouan, demandent une égalité de traitement avec leurs collègues du Canal de Suez. Cette grève s’est déclenchée après celle de sept jours, la semaine passée, des travailleurs de six entreprises de sous-traitance au Canal de Suez. Ces derniers ont obtenu la garantie des autorités qu’ils bénéficieraient des mêmes avantages que les employés d’Etat du Canal de Suez.

Au Caire dans la banlieue industrielle sud-est de Tibeen, ce sont 2300 salariés de la Nasr Coke Company pour la fourniture de charbon aux entreprises géantes de l’acier qui ont fait six jours de grève pour le paiement de leur part de bénéfices, la publication détaillée des comptes de la société et la démission du dirigeant du holding d’Etat qui chapeaute la compagnie. Ils ont suspendu la grève après que les forces armées leur ont promis de tenir compte de leurs revendications.

Or, ce qui semble significatif, c’est que dans plusieurs de ces grèves, tout particulièrement à la Shebin al-Kom Textiles, les salariés sont sortis des usines malgré l’interdiction de manifester. Ils ont défilé en ville, y faisant entendre leurs chants et slogans, retrouvant l’habitude des places publiques, ce qui était rare depuis les couvre-feux et les discours sur le terrorisme.

Ce changement d’attitude va dans le même sens que celui qu’illustre l’ouverture d’une page Facebook par les médecins en lutte – très fréquentée – où ils exposent publiquement la grande misère régnant dans les hôpitaux. Toujours dans le même esprit, ce sont les étudiants qui votent majoritairement lors des élections en décembre pour des candidats révolutionnaires [3], ce qui provoque une réaction courroucée du ministre de l’Education qui tente de mobiliser les «troupes étudiantes» du pouvoir. Ce sont encore les journalistes qui osent à nouveau dénoncer les mensonges du gouvernement. Enfin, les avocats n’hésitent plus à dénoncer les mauvais traitements ou les tortures que font subir les forces de police à ceux qu’ils arrêtent.

Tout cela prolonge et accompagne ce qui s’était manifesté depuis la fin de l’été et en septembre 2015, avec une certaine contestation dans la bureaucratie d’Etat, où des policiers de «bas rang» avaient osé faire grève pour de meilleurs salaires et contre les mauvais traitements qu’ils subissent eux-mêmes. En même temps, des employés d’Etat, considérés souvent comme les fidèles du régime – de tous les régimes –, avaient mené quelques débrayages et menacé d’une grande grève en septembre contre une loi qui baissait les salaires et donnait plus de pouvoirs à leurs chefs.

On ose élever la voix et s’élever contre ceux d’en haut

Ce changement d’ambiance se mesure aussi aux protestations contre les violences policières qui ne sont plus le fait de seuls groupes organisés, mais de secteurs de la population, comme à Talaat Shaheeb ou à Ismailia, ce qui a obligé Sissi à présenter ses excuses. Enfin, on a vu dans le même esprit un retour des blocages de routes à Giza, Alexandrie, Assiut, Daqahlia et Port-Saïd au moment des colères populaires contre l’incurie du gouvernement à l’occasion des dernières inondations cet hiver.

Ainsi, peu à peu, se dessine et monte globalement l’impression d’une certaine appréhension de l’Etat face aux colères populaires, réputées «apolitiques», mais surtout imprévisibles et difficilement contrôlables, alors que, parallèlement, les classes populaires semblent avoir de moins en moins de craintes à l’égard du régime des militaires. (8 janvier 2016)

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[1] Voir : http://alencontre.org/moyenorient/egypte/egypte-quelles-perspectives-pour-la-nouvelle-vague-de-greves.html

[2] Entre autres, dans six compagnies sous-traitantes de la Suez Canal Authority, à la Egyptian Dredging Company à Abu Zaabal, dans le gouvernorat de Qalyubiya, à la Shebin al-Kom Textiles Company dans le gouvernorat de Monufiya, à Mahalla textiles Misr Spinning and Weaving Company, à Petrotrade à Alexandrie, à l’Egypt Gas Company, la Assiut Fertilizer Company, la Misr Helwan Iron and Steel company, la Egyptalum aluminum company dans le gouvernorat de Qena et la Jawhara food processing company.

[3] Avec donc des candidats qui osent défier publiquement le pouvoir. Voir : http://alencontre.org/moyenorient/egypte/egypte-succes-des-revolutionnaires-dans-les-elections-etudiantes-reaction-du-ministre.html


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